Tour 66, c'est le nom de la dernière tournée monstre de Johnny Hallyday. Sacha Reins, notre envoyé spécial à Saint-Étienne, a assisté aux ultimes répétitions.
Le Zénith de Saint-Étienne est en effervescence depuis le début de la semaine car c'est dans cette toute nouvelle salle que sera lancée la nouvelle - et dernière - tournée de Johnny Hallyday. La tournée des adieux.
Le Grand est là depuis le début de la semaine. Déjà remis du décalage horaire (il arrive de Los Angeles) il surveille tout sans en avoir l'air. Faussement décontracté. Il tape sur les épaules de ses roadies, échange une plaisanterie avec son guitariste, me demande l'oeil pétillant : "Alors, c'est qui ce Slimy ? Tu crois que je devrais avoir peur ?"
Johnny a un petit côté Clint Eastwood. Il a l'air absent, s'ennuyant presque, spectateur indifférent d'un événement qui ne le concerne pas, qui concerne l'Autre.
L'Autre, c'est lui, encore. Mais sur scène. Habillé, dans son monde. C'est un autre Johnny. C'est l'Autre.
Et Johnny, aujourd'hui, il est juste là pour s'assurer que l'Autre (qui apparaîtra demain pour la première de la tournée dans ses vêtements brillants, confectionnés chez un grand faiseur de Los Angeles) soit content et ne pique pas sa crise. Car, elles peuvent être terribles ces crises. Dans ce cas, personne ne moufte, tout le monde descend aux abris et c'est généralement Camus, l'ami de toujours, qui prend.
Donc, sous cette apparence placide, Johnny surveille tout, note tout. Le nouveau batteur ne fait pas assez attention à lui et à ses indications, il lui explique plus tard dans la nuit, au bar de l'hôtel, entre deux blagues ("Comment reconnaît-on un Belge dans une partouze ? C'est le seul qui baise sa femme."), ce qu'il attend de lui.
- "Tu ne me lâches pas des yeux et quand je te fais signe, tu surlignes. Bobby Clarke était formidable pour ça, on aurait pu croire qu'ils étaient deux, un qui accompagnait le groupe et un autre qui ne jouait que pour moi."
Le nouveau guitariste se laisse glisser un peu dans le jazz, un recadrage est nécessaire. Idem pour le pianiste : "Il nous faut Jerry Lee Lewis, pas Herbie Hancock."
Le message est clair et passe sans problème entre deux tournées d'armagnac. Johnny boit de l'armagnac ? "Oui, quoi ? T'as vu ce que j'ai mangé tout à l'heure pendant que vous vous plongiez tous dans les escargots ? Une grillade avec des légumes vapeur ! L'armagnac, c'est pour me faire dormir."
Grands sourires à la ronde. "Ouais, Johnny, l'armagnac c'est pour dormir." Il règne dans le bar une ambiance... d'autrefois. Quelque chose d'impalpable, d'indéfinissable qui nous ramène quelques années en arrière. D'un coup, on comprend. Johnny fume. Le barman qui oserait dire : "Pardon, monsieur Hallyday, mais je vais devoir vous demander d'éteindre votre cigarette" n'étant pas encore né, les clopes ont fusé de partout. Le bar stéphanois a retrouvé son atmosphère d'antan. Et moi qui ne fume plus depuis très longtemps, je réalise que - lorsqu'il n'y a pas saturation - c'est une odeur festive.
Tout le monde est content car le filage du soir a révélé un spectacle grandiose, à la set-list imparable. Toutes les chansons qu'on attend, plus d'autres qu'on espérait plus. Un spectacle sans tunnel, bien que durant deux heures quarante, et qui se termine par un très grand moment d'émotion. En dernier rappel, Johnny nous quitte avec Et maintenant ? de Bécaud.
Et maintenant/que vais je faire/de tout ce temps/que sera ma vie ?
Tout le staff a les larmes aux yeux et applaudit. Ce qui ne se fait jamais en répétition. Ce soir, dernière générale devant des enfants des quartiers défavorisés de la région.
Demain, c'est la grande première. Johnny est serein. L'Autre sera content.