A
la veille de sa dernière tournée, le chanteur préféré des
Français a joué cartes sur table pour son fils qui réalise
un documentaire sur lui. Les rockeurs ont du cœur
interview
David Hallyday - Paris Match
David fait ce que personne ne peut mieux que lui : montrer la
star sous son vrai jour. Père et fils, musicien et rockeur,
Johnny et David parlent le même langage, la même musique, même
s’ils n’ont pas souvent fait vie commune. Aujourd’hui,
David, compositeur reconnu, interprète, producteur, coureur
automobile et acteur, étrenne un nouveau rôle, intervieweur.
Dix ans après avoir composé pour Johnny l’album qui lui
attira son plus grand succès, « Sang pour sang », il tourne
un documentaire, « Johnny intime », qui sera diffusé à la
télévision, sur Internet et sur la téléphonie mobile. Un
arrêt sur images au moment où le chanteur pose ses valises.
A 65 ans, la légende du rock annonce qu’il veut être à la
maison pour voir grandir ses filles. « Tour 66 », sa tournée
d’adieu, durera jusqu’à la fin de l’année. Trois
rendez-vous au Stade de France. Tous affichent complet !
David
Hallyday. A Los Angeles, la semaine dernière, on a beaucoup
parlé de ta tournée, du fait que ce serait la dernière et
qu’elle représente un tournant dans ta vie. Peux-tu dresser
un bilan de ta vie professionnelle, depuis ton premier concert
jusqu’à “Tour 66 ?” Johnny Hallyday. Ma carrière
est très longue : cinquante ans ! Je n’avais même pas 16
ans quand j’ai commencé. J’ai éprouvé des joies
extraordinaires sur mes tournées, dans les rapports que
j’ai pu avoir avec le public. Sur scène, on a des liens
presque intimes avec les gens. Qu’ils soient 200, 2 000 ou
50 000, ça ne change rien. On me demande souvent pourquoi je
dure depuis cinquante ans. Je crois simplement que c’est
parce que, dans le métier, j’ai toujours été honnête.
J’ai toujours respecté très profondément les gens qui
venaient me voir, qui se trouvaient en face de moi. Et c’est
pour ça, aussi, qu’ils m’aiment et qu’ils m’ont un
peu adopté, presque comme un membre de leur famille.
Il
paraît que, plus jeune, il fallait toujours te pousser sur scène...
J’étais terriblement traqueur, timide au point que c’en
était maladif. Quand j’entrais dans une pièce et qu’on
me regardait, je rougissais jusqu’aux oreilles.
Avant de monter sur scène, je transpirais, j’avais les
mains qui tremblaient, les jambes qui flageolaient.
D’ailleurs ça m’aidait pour le rock’n’roll... Je
plaisante ! Mais c’est vrai, je ne voulais surtout pas que
ça se voie. On ne doit pas montrer aux gens qu’on a peur.
On doit leur dire : “Qu’est-ce que je suis content d’être
là !” Et ça devient vrai... après la première chanson.
Quand
on voit la longueur de ta carrière, on se demande comment tu
as fait pour durer autant, si tu as surfé sur certaines modes
ou si tu as toujours fait ce que tu voulais...
Les styles de musique évoluent, même si on fait du
rock’n’roll. Celui des années 60 ou 70 n’est plus le même
que celui des années 2000. Il ne faut pas tomber dans la
nostalgie : si j’avais continué à chanter “Souvenirs,
souvenirs”, je ne serais plus là aujourd’hui... Mais une
bonne chanson restera toujours une bonne chanson.
Justement,
tu n’as pas l’impression qu’aujourd’hui on fait des
chansons aux textes trop consensuels ? Je pense à “Que je
t’aime”, dont chaque parole est super forte...
La question, pour moi, c’est plutôt celle des auteurs
capables d’écrire des textes pareils. “Que je
t’aime”, comme “Ma gueule” et plein d’autres, a été
écrite par Gilles Thibaut, qui est mort. Si quelqu’un était
capable d’écrire quelque chose d’aussi fort
aujourd’hui, je le chanterais.
Tu
aurais voulu écrire toi-même des chansons ?
Au tout début, j’ai écrit beaucoup de musique, assez
proche du rockabilly que j’aimais tant... Mais je suis un
interprète. C’est difficile de composer, pour moi.
Mais
tu n’as pas envie d’écrire sur les thèmes qui te
tiennent à cœur ?
Pourquoi pas ? Il y a tellement de sujets, de misères...
Mais, en même temps, les gens viennent me voir pour s’évader.
Ils viennent me voir sur scène pour rêver, pas pour que je
les ennuie avec l’actualité. C’est pour ça que je chante
l’amour et l’amitié. Le rêve donne de l’espoir. Et je
veux en donner aux gens. Je sais qu’il y a la crise, que
tout va très mal. Je crois qu’on s’en sortira. Mais si on
est négatif, on stagnera : il faut aller de l’avant.
Je
voudrais te parler de “Sang pour sang”, sur lequel on a
travaillé ensemble. Cet album nous a permis de nous voir plus
souvent, et d’observer comment l’autre bosse. Je pense que
c’est aussi un fantasme, de regarder un père et son fils
collaborer. C’était vraiment une belle histoire. Tu en
gardes quels souvenirs ?
Ça a été un tournant dans ma vie – même si ça a l’air
d’un grand mot. Emotionnellement, collaborer avec mon fils
m’a donné, déjà, envie de travailler... Et puis je crois
que personne ne me connaît aussi bien que toi. “Sang pour
sang”, c’est une idée formidable et une chanson que
j’adore.
Quand
je l’ai écrite, je voulais te faire dire quelque chose de
très personnel, dans le style : “Alors tu seras un homme,
mon fils.” Mais je me suis toujours demandé, si tu devais
m’écrire une chanson, ce que tu voudrais que je chante à
propos de toi.
Pourquoi ? Tu me demandes une chanson, là ? Je n’y avais
jamais pensé. Mais, de toute façon, si tu devais interpréter
une chanson qui me concerne, j’aimerais que tu dises :
“Mon père, mon ami.” C’est vrai que je n’ai pas pu
vivre avec toi, dans ta jeunesse, comme je l’aurais voulu.
Tu étais aux Etats-Unis et moi en France.
On
s’est rattrapé par la suite.
Tu es mon meilleur ami tout en étant mon fils.
Je
suis allé à Atlanta, récemment, pour interviewer Jimmy
Carter, l’ancien président des Etats-Unis. Ça m’a donné
envie d’aider une cause, ce que je fais déjà, mais encore
plus sérieusement. Est-ce que ce sont des questions qui te préoccupent
toi aussi ?
Je soutiens beaucoup Laeticia dans tout ce qu’elle peut
faire en tant qu’ambassadrice de l’Unicef pour les
enfants, pour les femmes en Afrique. Je l’aide au maximum.
Et quand j’aurai fini ma tournée, je l’accompagnerai avec
plaisir dans une mission en Afrique. J’ai envie de
m’impliquer davantage dans l’humanitaire.
Parlons
de cinéma. Tu viens de tourner “Vengeance”, de Johnnie
To, et j’ai vraiment l’impression que le cinéma te
passionne de plus en plus...
C’est vrai, j’aime ça. Et maintenant, j’aurai
l’occasion d’en faire plus sérieusement. Le cinéma
m’intéresse parce que, en tant qu’acteur, on joue une
autre personne, on ne joue pas soi-même.
Et
parfois, c’est bien d’être quelqu’un d’autre.
Parfois, ça fait du bien, ça permet de respirer.
Quelles
sont tes icônes de cinéma ? Je sais qu’il y a James
Dean...
James Dean au début, et puis Marlon Brando, Montgomery Clift,
Steve McQueen – que tu adores aussi –, Clint Eastwood et,
aujourd’hui, Sean Penn.
Parfois,
en te regardant, j’ai l’impression de te voir au cinéma
dans un film de James Dean. Est-ce que tu n’as pas le
sentiment de mettre ta vie en scène, d’être le personnage
du film de ta vie ?
Non, jamais.
Le
17 mai, tu monteras les marches à Cannes en ayant, pour la
première fois, un film (“Vengeance”, de Johnnie To) sélectionné
au festival. C’est une revanche contre toutes les mauvaises
langues ?
Je trouve ça formidable de faire partie des 20 films sélectionnés
à Cannes. Mais ce n’est pas une revanche. J’attends juste
que les personnes sarcastiques, qui sourient dès que je fais
quelque chose, fassent aussi bien.
Je
trouve marrant que ce soit dans un film chinois, pas français.
J’ai été filmé par quelqu’un qui ne connaît pas Johnny
Hallyday. En Chine, je suis vaguement connu pour ce que j’ai
fait au cinéma. Pour Johnnie To, j’étais plus un comédien
qu’un chanteur. Avec les autres interprètes, qui étaient
chinois, j’avais des rapports d’acteur à acteur, je n’étais
pas pour eux un “mythe vivant”, on était tous égaux.
Avant
de partir en Chine, tu as eu un petit accident.
Une hernie discale.
Mais
je t’ai quand même vu sortir du bloc opératoire et dans ta
chambre avec des bonbonnes d’oxygène partout, en train de
fumer un paquet de clopes. Tu as toujours eu un côté très
rebelle. Peut-on encore l’être aujourd’hui ?
Etre rebelle, ce n’est pas aller dans un hôtel et tout
casser, comme le faisaient les groupes de rock autrefois. Je
crois qu’être rebelle, c’est se sentir libre et faire ce
qu’on a envie de faire quand on a envie de le faire. C’est
ne pas se sentir emprisonné par une société bienveillante.
Johnny
: “Mon fils, je t'aime et je suis fier de toi”
J’ai
vu défiler, depuis que je suis né, des milliards d’amis à
la maison. Quelle est la personne de notre entourage qui t’a
le plus marqué ? Je sais que Carlos jouait un rôle
important.
Oui, j’allais dire Carlos. Et puis Gilles Paquet, et Ticky
Holgado, qui ne sont plus là non plus aujourd’hui. C’est
terrible parce qu’il y a beaucoup de gens avec qui j’ai
commencé et qui ne sont plus là aujourd’hui. Avec Eddy
Mitchell, on se connaît depuis l’enfance, c’est un vrai
pote, c’est même plus qu’un pote, c’est un ami. J’ai
fait beaucoup de vide autour de moi, et il n’y a plus que
les gens que je respecte et que j’aime depuis longtemps qui
m’entourent aujourd’hui.
J’ai
le souvenir d’un appartement, avenue du Président-Wilson,
à Paris, où j’ai grandi, avec un couloir immense et le
bruit de tes pas quand tu rentrais vers 4 heures du matin...
De tournée.
Avec
le pas lourd...
Ereinté...
...
Fatigué, et j’entendais des hurlements, passons sur les détails...
A cette époque, j’ai l’impression que c’était super
mouvementé. J’ai un souvenir de frénésie démentielle.
Qu’est-ce qui se passait que jen’ai pas compris, parce que
j’étais trop jeune, et que je peux comprendre aujourd’hui
?
C’était une autre époque. J’avais 26 ou 27 ans, je
t’avais eu à 23. C’est vrai qu’il y avait beaucoup de
passage, beaucoup de musiciens qui campaient à la maison :
Jimi Hendrix, Bob Dylan, Jerry Donahue, je ne sais pas si tu
t’en rappelles...
Si
! J’ai joué de la batterie pour Jimi parce que tu venais me
réveiller à 4 heures du matin, ce qui rendait ma mère hystérique.
Tu disais : “Montre à mes potes comment tu sais jouer de la
batterie.” J’avais 6 ans. Et moi, en plus, j’étais très
content.
Et tu jouais bien. Tu joues encore mieux aujourd’hui, mais
tu jouais déjà bien. A cette époque-là, je vivais beaucoup
plus en communauté qu’aujourd’hui avec les musiciens.
Mais c’est vrai que ce n’était pas génial pour une vie
de famille, je te le concède.
Je
trouvais ça très rigolo...
Ta maman trouvait ça moins drôle.
C’était
sans doute plus difficile pour elle.
D’une certaine façon, c’était l’époque qui voulait ça.
Tout le monde s’amusait beaucoup plus.
A
force de passer du temps avec toi, je me rends compte que je
te ressemble de bien des façons. Mais toi, tu vois en quoi tu
me ressembles ?
Nos goûts culinaires sont très proches. Je mange extra épicé,
tu adores le piment. Et puis le
cinéma, la moto...
Oui
mais, plus profondément, dans l’instinct, dans la façon de
voir les choses, de faire semblant, de ne pas se dévoiler...
Tu es comme ça, non ?
Toi aussi, je te signale, tu n’aimes pas dévoiler tes
sentiments. Moi, c’est par pudeur. Et toi, c’est pour quoi
?
Par
pudeur aussi... Finalement, on est pareils !
Moi, ça me gêne. D’abord, j’ai du mal à parler de moi,
de mes sentiments. C’est vrai qu’on est un peu pareils. Je
ferais n’importe quoi aujourd’hui pour mes enfants, que ce
soit pour toi, pour Laura, pour Jade ou pour Joy, la petite
dernière.
J’identifie
beaucoup la relation que j’ai avec mon fils de 5 ans et la
relation qu’on a tous les deux.
On aime tous nos enfants. J’adore mes filles, et tu es mon
seul fils. Une fille, c’est charmeur avec son père, quand
elle fait une bêtise, elle te jure qu’elle ne recommencera
plus, on faiblit et on se dit : “Ça va pour cette fois.”
Je
connais par cœur.
Mes deux filles me font complètement craquer et savent
appuyer sur le bon bouton. Un fils, c’est autre chose, on
est plus dur avec lui. Il y a des moments de conflit et
d’autres de tendresse. Un fils, c’est comme soi-même en
plus fragile. Aujourd’hui, je te regarde, tu fais de la
course de voitures et de motos, bientôt du cinéma, tu as
trois enfants merveilleux... Tu as déjà réussi une grande
partie de ta vie.
Ça
a été très important pour moi de réussir ma vie
personnelle avant d’être prêt à construire le reste.
Moi, j’ai plutôt construit ma vie professionnelle avant ma
vie personnelle. C’était peut-être une question d’époque,
mais toute mon existence, ça a été mon grand regret. En
tout cas, mon fils, je t’aime et je suis fier de toi.
Tu
sais que nous, tes enfants, on sera toujours là pour toi,
quoi qu’il arrive. Il n’y a rien de plus important dans la
vie.