Marion et les deux Laurent de
johnnypassion.com ont collaboré à une double page dans
"Libération"
du 29 mai 2009.
grand
angle
LIBERATION VENDREDI 29 MAI 2009
Comment ça va «s’arrêter là» ? De quoi tu parles ? Comment ça, on réalise son rêve de jeunesse d’être comédien ? Remarque d’un côté, heureusement que pendant quarante-cinq ans, ce rêve-là a existé en pointillé, même si on est très content de l’Homme du train, de Détective, etc., parce que sinon on chanterait quoi, nous, en voiture, en fin de soirée, on se lèverait sur quoi comme un seul homme quand une de tes 3 549 chansons cultes (elles sont toutes cultes) passent à la radio, au café, en boîte? Et à partir de ce soir, rendez-vous au Stade de France pour trois soirs, où les purs et durs vont camper pour être sûrs de garder leurs places devant. Ah, on les entend les vautours (même les vautours font l’amour, c’est toi qui l’as dit) : ça y est, c’est enfin la nécro à Johnny, il a fini de nous polluer avec ses conneries, ce faux rocker-ringard-momie nationaleempereur de beaufs… Non, non, il bouge encore, on parle juste de la scène, des vies de «fans» rythmées par les Bercy, les Zénith, les Parc des Princes, les Stadeuf comme on dit. Par cette ambiance qui suinte la bière, la sueur et l’amitié, la connivence avec ce type qu’on ne connaît pas en vrai, mais encore mieux qu’en vrai. Avec ce grand fauve aux
Dire que maintenant, ça va être devant un DVD avec les copains, avec nos vieux CD, voire nos 45 tours, qu’on va communier.
yeux laser qui te met les tripes en huit avec sa voix, que ses chansons, il y en a une pour chaque situation de ta vie. C’est vrai quoi, il prend les mots qu’on lui donne (tu sais bien, il est trop
con pour les écrire, il paraît même qu’il ne comprend
pas ce qu’il chante, disent les vautours), il les pousse
avec sa voix, et paf, il te prend dans ses rayons et tu
tombes à genoux. Une espèce de ferveur très bizarre,
difficile à expliquer aux profanes. Qui s’en foutent,
Dieu ait pitié d’eux. Eux, les vautours, qui sont moins
nombreux qu’il y a quelques années à se moquer dès qu’on
évoquait l’idole. Et voilà qu’alors qu’on était
catalogué dans les limbes de la sous-musique et de l’überringardise,
pour parler comme eux, le phénomène deviendrait branché, ma parole, à s’en mordre la santiag. Enfin bon, il y a tous ces souvenirs à l’Olympia, tout près de toi, si content d’une «petite salle», et à la Cigale, où on avait plus chanté que toi, même une fois à la Fête de l’Huma. Dire que maintenant, ça va être devant un DVD avec les copains, avec nos vieux CD, voire des 45 tours (accrochés au mur des toilettes-autel à Hallyday), qu’on va communier. Qu’on va se croiser les poignets au-dessus de la tête pour «muuuurir d’amuuuuur enchaînés», se balancer mutuellement des bouteilles d’eau et des peignes, se gueuler y a-t-il quelqu’un pour m’aimer ce soaaaaar, et se congratuler, vous êtes formidaaaables. Mais ils seront où les autres Johnniques ? Pour l’instant, ils reviennent du concert ou ils y retournent. Et on les suit. A SaintEtienne et à Bruxelles, avec Marion, Laurent C, Laurent D, qui ont vu tous, ou presque tous, les concerts du début de la dernière tournée.
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E P
Photos Daniel
ANGELI
Grand merci à François, de
johnnypassion.com
Le camping au parking
Laurent : « Nous sommes une quinzaine de campeurs volontaires pendant la semaine des concerts. Des journalistes viennent à notre rencontre, pour se taper le bon gros naze, triste “clone” décoloré tatoué et alcooloillettré. Mais manque de bol, ils ne trouvent chez nous que des gens sachant enchaîner et aligner sujet verbe complément, sans onomatopées suspectes. Finalement, passée la surprise de voir que nous sommes aussi des êtres humains normaux, on finit par sympathiser et donner enfin une image juste de Johnny et de son public. »
La course vers la fosse
Marion : «Comme pour un sportif, il faut manger assez et au bon moment pour éviter les coups de pompe et les malaises plus tard,
dans lasalle. L’essentiel est de rester debout le moins possible afin d’économiser les reins. Dehors, une fois que la sécurité fait son apparition, vers 18 h 30, tout s’enchaîne très vite. La foule qui commence à pousser, la course folle jusqu’à la fosse, et l’arrivée en trombe aux barrières tant convoitées. Après quelques coups de coudes pour faire sa place, les mains bien ancrées autour de la barre, il n’y a plus qu’à vérifier où sont placés les autres et attendre sagement. C’est pendant ces deux longues heures d’attente que la fatigue se fait sentir. Le temps n’avance pas. Les genoux se raidissent, les reins tirent de plus en plus, les quelques étirements n’y font rien. Tout se joue au mental. Ne pas penser à la soif ni au dos, encore moins à l’heure.»
« Voilà le patron ! »
Marion : «Les musiciens commencent à jouer.
Lumière psychédélique, le son monte en intensité. La tension de la foule aussi. Le rideau tombe, feu, étincelle, on ne voit rien du premier rang. Ebloui, on est obligé de baisser la tête ou de détourner le regard, si bien qu’au moment où l’on peut enfin regarder la scène, Johnny est là immobile, comme apparu de nulle part. Avant même qu’il n’ait bougé le moindre petit doigt, il est impressionnant de présence. La musique s’arrête dans un silence quasi religieux. Un silence que toute la salle respecte durant quelques secondes avant d’exploser.» Laurent : «Le voilà LE PATRON !! Putain quelle présence, quel magnétisme. Il est là impassible, immobile au milieu d’une tempête d’ovations, de cris et d’applaudissements. Après un sourire, il attaque avec Ma gueule a cappella d’une voix si puissante quelle vous décroche l’estomac et le coeur en même temps.»
Les jeux de lumières
Laurent : «Un décor impressionnant, avec quatre statues de corps de femmes à tête d’aigle très égyptiennes et un aigle survolant la scène. Sans oublier quatre écrans actionnés dans tous les sens par quatre robots sortis des usines d’auto. Les costumes sont très sobres, noirs.» Marion : «Au premier rang, l’aperçu des jeux de lumières n’est pas idéal. Il y a en tout cas d’énormes variations au niveau de l’intensité, des couleurs et des formes. Il y a de l’originalité, de la technique, des choses très minutieuses. Un des plus beaux jeux de lumière du spectacle, c’est lorsque des faisceaux de lumière rouge enveloppent Johnny. Lui en noir dans ce cocon rouge, c’est très fort visuellement. »
Une estocade vocale
Laurent : « On ne va pas tout dévoiler. Mais Requiem pour un fou jouit d’une mise en scène prenante [image d’intervention du GIGN, dont la dramatisation monte au fil de la chanson] jusqu’au dénouement où Johnny, criblé de jets rouges de laser et lumière, nous donne l’estocade en apothéose vocale comme il ne faisait plus depuis longtemps: “qui meuuuurt d’amououououuuuur !!!” On ne sait plus où on habite. Ensuite, on peut parler du Pénitencier où il demande : “Je vous entends bien mais je ne vous vois pas, peut-on allumer la salle ?” Standing ovation de 2-3 minutes, medley sur la Fille de l’été dernier, Blue Suede Shoes, That’s allright mama, la Terre promise, I got a woman. Rupture et Quelque chose de Tennessee, Johnny seul à la guitare dans une version judicieusement réorchestrée. Un silence, il se cramponne à son pied de micro, de profil, il glisse lentement puis tombe un genou à terre, délire dans la salle. “Je suis seuuuuuuuuul !!!, déseeeespéré. Wouaou. Y a-t-il quelqu’un pour m’aimer ce soir ? – Ouiiiiiiii – Personne ne veut m’aimer !! Y a-t-il ce soir une fille qui veuille m’aimer ? Je me sens seul…” Et ça marche encore INCROYABLE [il a 65 ans, le gars, et ça marche comme s’il en avait 20. Là où tous les autres seraient ridicules, il est mille fois crédible]. »
Trop fade « Marie »
Marion : «En fait, toutes les chansons sont de très grande qualité si l’on excepte Marie, chantée uniquement le 23 [à Bruxelles]. Une version fade, du moins classique, peu maîtrisée par les musiciens, notamment par un batteur inexistant. C’est la première fois qu’elle était jouée, espérons la dernière. Ce choix d’un concert très grand public [en Belgique] est une petite déception.»
Des clins d’oeil particuliers
Laurent : « A peine le temps de compter les moments où Johnny nous a fait cadeau de signes particuliers sur certaines chansons – il a dit lors d’interviews qu’il reconnaissait les mêmes têtes et qu’il tenait à nous le faire savoir par des attitudes particulières – que vrombissent les notes d’Allumer le feu. Je ne comprends plus rien sauf que le mec qui est sur la scène n’est pas comme nous : il est plus que tout. Tiens, voilà Hey Joe et j’ai droit à mon couplet il me fixe dans
les yeux. “Moi Joe, tu vois, je n’ai plus rien.” »
Un jeu de jambes à la Elvis
Marion : « Dans une forme éblouissante, oui, il a d’ailleurs dit deux fois qu’il n’était pas fatigué. Samedi soir, concert d’anthologie, il avait une rage et une énergie impressionnante. Ça fait bien longtemps qu’il n’a pas offert autant de jeux de jambes à la Elvis, qu’il n’a pas tapé du pied et rugi de plaisir.
»
Pleurs sur « Et maintenant »
Laurent et Marion: « Pendant cinq minutes, il suspend le temps. La salle se tait, encaissant difficilement chacune des paroles de cette chanson. Johnny ne chante déjà plus du Bécaud, dans une interprétation magistrale, il la fait sienne. Le public ne peut contenir quelques larmes et, d’un dernier geste de la main, Johnny se retire comme il est venu, dans une ambiance lourde… Un raz-de-marée d’applaudissements, d’ovations et de cris. Il est ému aux larmes, j’ai des frissons, les filles pleurent. Il est 23 h 30, deux heures quarante-cinq de show. Chapeau bas, Monsieur Hallyday. Après vous il n’y aura rien de comparable.
»
Recueilli par <> EMMANUELLE
PEYRET
Martin, fan et
scientifique de la Johnnique : « TUhjUhrs à l’heu-eure »
L’interprétation, c’est 50 % de la création, et avec Johnny c’est souvent 100 %. A quoi ressembleraient certaines chansons, dont l’intérêt n’est pas toujours évident sur le papier, si elles étaient chantées par d’autres : Allumer le feu, Né dans la rue, Que je t’aime… Personne n’est vraiment capable d’y mettre toute la conviction nécessaire. Johnny c’est le rock, celui dont la voix a toujours quelque chose de potentiellement explosif, même sur les chansons douces. Depuis pas mal de temps, dans la variété et la télé-réalité, on dirait que chanter, c’est déclamer. Or il faut faire l’inverse, et c’est la leçon que Johnny inflige chaque fois qu’il s’approprie une nouvelle chanson. Il faut tordre les mots, syncoper les vers, y incorporer toute une série de ponctuations vocales, éructations, cris, plaintes, soupirs… mais jamais à la manière d’un bon élève, toujours à la façon d’un mauvais garçon. Exemple avec J’la croise tous les matins (1995) : «J’la croise tous les mAhtins (l’accent sur l’avant-dernière syllabe, une marque de fabrique) / Cinq heures quarante (un principe de cette chanson : un vers appuyé suivi d’un autre à peine chanté, pour faire contraste) / Elle va prendre son traaAIINNHhh (là, décrochage vers le haut, spécialité johnnique) / et moi j’rentre (ici surtout l’effet de contraste) / Elle cOhmmence sa jUhrnée, (accent sur l’avantdernière syllabe mais, cette fois-ci, avec un timbre fort et dense) / TUhjUhrs à l’heu-eure (ici le fameux «U» johnnique, et chaque syllabe appuyée, pour marquer le terrain du texte) / Moi-la-lumièEEHrr / Me fait peur» (le contraste figure ici dans le même vers, avec distorsion sur «lumière» puis relâché sur «me fait peur». C’est ça, la Johnnique.
Johnny a démarré sa tournée d'adieu le 7 mai dans la Loire, avec 6 dates à St Etienne.